RP: Les symboles perdus

En voyant Altaïs restée à terre, Tonimis se précipita sur elle:

_ Altaïs ! Altaïs, réponds-moi s'il-te-plaît !

Des larmes se mirent à couler sur son visage, il savait qu'Altaïs était très faible à cause des derniers évènements. Il pensa au pire et se demanda si elle allait bien, mais la voir dans cet état le rendait malade. Ses larmes se changèrent en larmes de colère, il l'installa correctement sur le gazon et se releva le visage totalement transformé par sa fureur.
Juichi eut le bon sens de repousser doucement Yumé pour lui faire face et Tonimis réfléchit à la situation. D'après ce qu'il avait vu, Juichi pouvait déplacer ce qu'il voyait par la pensée, mais il s'agissait de sa faiblesse contre lui.
Tonimis se rendit invisible malgré le fait qu'on pouvait le voir et tourna autour de Juichi comme un prédateur autour de sa proie. Ne ressentant pas de champ de force le repousser, il attaqua. Son poing partit tout seul en plein dans le visage de Juichi et celui-ci chancela, mais ne tomba pas, au déplaisir de Tonimis.
Malheureusement pour lui, Juichi l'avait vu, Tonimis l'avait lu dans ses yeux et il se tint prêt. Tonimis lui rebalança un coup en pleine figure, mais cette fois-ci, au moment de l'impact, il se sentit propulsé en arrière et atterrit douloureusement sur l'herbe.
Alors qu'il se relevait difficilement, il s'aperçut que Juichi avait du mal lui aussi et lorsqu'il voulut repartir à la charge, une voix l'arrêta.

Yumé assista à la scène impuissante. Elle s'était placée près de la jeune fille inconsciente et s'était assurée qu'elle allait bien. Les garçons n'avait pas l'air de vouloir se calmer, alors elle prit la décision d'intervenir. Elle se leva et se dirigea vers les affreux qui se battaient.

- Arrêtez ! cria-t-elle aussi fort que possible. Vous n'avez pas honte de vous battre ! Si Altaïs se révéillait et qu'elle voyait que vous vous battez que penserait-elle ? Elle aurait sans doute honte de toi Tominis et elle serais très triste de voir que deux personnes s'entretuent au lieu de lui porter secours. Elle se calma puis se tourna vers Juichi et lui dit d'une voix glaciale : Porte-la jusqu'à notre chambre, il faut qu'elle se repose dans un endroit confortable.

Devant l'étrange attitude de la jeune fille, Juichi s'exécuta perplexe. Une fois dans la chambre, Juichi posa la jeune fille sur le lit de Yumé -comme cette dernière lui avait dit de faire, puis les deux jeunes hommes furent mis à la porte.

- Elle n'a pas besoin d'idiots à son chevet, allez réfléchir dehors à vos actes. Je vous ferai signe quand elle sera réveillée.

Une fois les deux brutes explusées de la chambre, Yumé ferma la porte à clé et se précipita dans la salle de bains pour aller mouiller un linge et le mettre sur le front de la jeune fille. Elle alla s'assoir sur le lit de Juichi, en attendant qu'Altaïs se réveille.

La porte claqua comme si un verdict était tombé.
Même s'il ne voulait pas quitter Altaïs des yeux une seule seconde, il obéit à Yumé jugeant cet éloignement nécessaire. Yumé avait raison, Altaïs n'aurait jamais accepté qu'il se batte, même pour elle, mais sa colère avait pris le contrôle sur son corps et il n'avait pas réfléchi. Il se tourna vers Juichi qui, comme lui, semblait dérouté:

"Je... je suis désolé de t'avoir cogné, mais j'ai réagi sans réfléchir. Tu comprends, elle... elle a été la seule à m'adresser la parole à ne pas me traiter comme un voleur, un voyou qui devrait être surveillé. Elle m'a permis d'avoir une vie plus sereine et même si notre destin s'avère être des plus dangeureux, je serai heureux parce que je serai à ses côtés. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour vous, mais je dois ma nouvelle vie à Altaïs et je crois que je... je l'aime, avoua-t-il en rougissant. J'espère que ce malentendu ne nous empêchera pas de rester ensemble."

Il tendit la main pour que Juichi la serre et rajouta pour détendre l'atmosphère:

"Et je dois dire que tes pouvoirs sont puissants, j'en ai encore mal partout"

Depuis leur retour à l'hôtel, Juichi était déprimé. Sa pire crainte s'était réalisée. Sans même y penser, il avait projeté un champ de force sur "la fille", ce qui l'avait assommée voir pire. A l'heure actuelle, personne ne savait exactement ce qu'elle avait. Le jeune homme réfléchissait en regardant par la fenêtre, il fixait le fleuve d'un regard vide, sans dire un mot. Pourquoi la vie c'est pas un fleuve qui coule tranquillement..? Pourquoi on peut pas nous laisser vivre notre vie tranquille..? Merde alors! Comment j'ai pu faire ça... Moi qui voulais apprendre à contrôler mes pouvoirs j'ai juste réussi à blesser quelqu'un.. Et pourquoi? Juste.. Le regard de Juichi qui était vide s'éclaira soudainement. Juste parce que je... ! A ce moment, le jeune mec qui l'avait frappé s'était tourné vers lui, et lui dit en gros qu'il s'excusait pour l'avoir frappé et qu'il voulait faire la paix. C'était ce que Juichi comprit du moins.. Il se gratta la tête et se remit dans ses pensées. Chiote c'est quoi son nom? Hum.. Totoris? Non c'est pas ça, ça fait trop con.. Toutatis! Hum non plus.. Bon vais l'appeller Claude c'est un nom courant ici.. Voyant que ce dernier attendait une réponse, Juichi serra la main que "Claude" lui tendait et lui répondit.

-Ah ouais.. Pour tout à l'heure.. Bin, je m'excuse pour ta copine j'espère que Yùu peut faire quelque chose et qu'elle n'a rien de grave... J'ai pas encore bien saisi vos noms mais ça va venir hein, faut me laisser un peu de temps. Et t'inquiètes pas pour m'avoir frappé j'en ai vu d'autres.

Il baissa la voix et se dit pour lui même:

-Merde, je suis vraiment pas doué pour les réconciliations et les excuses...

Il releva la tête et dit d'une voix sincère.

- Donc on recommence tu veux bien? Je m'appelle Juichi, et je viens du Japon.

"D'accord. Enchanté, je m'appelle Tonimis, je viens de Clémara. Pour les prénoms, je te comprends, je dois dire que j'ai du mal avec le tien aussi, mais nous arriverons bien à retenir celui de l'autre au bout d'un moment."

Tonimis souria sincèrement, mais il remarqua que Juichi semblait ailleurs, comme s'il l'avait coupé dans ses pensées. Néanmoins, pour rompre le silence qui s'installait déjà, Tonimis reprit:

"J'espère sincèrement qu'Altaïs va bien, mais avec Yumé à ses côtés... Ce n'est pas comme si elle était seule et ça me rassure quand même un peu. D'ailleurs dis-moi, qu'y a-t-il entre Yumé et toi ? Vous avez l'air très proches tous les deux et j'imagine que les épreuves ont été dures pour vous aussi. Je dois dire que je suis heureux d'être avec Altaïs, car sans elle, j'aurai eu du mal à surmonter tout ça ! Je me demande si les deux derniers, les jumeaux, vont traverser des épreuves telles que les nôtres... Pardon, je suis désolé d'être aussi bavard et de parler de mes pensées comme ça, ça ne te laisse pas l'occasion de me répondre."

Le gars..."Claude"! lui avait parlé d'un trait, sans que Juichi ait le temps d'assimiler les informations. Il resta muet quelques secondes devant cette avalanche de paroles puis répondit avec un sourire en coin.

- Hum... À ta place je serais pas trop rassuré de voir ma p'tite copine entre les mains de Yumé... Elle est plutôt maladroite sur les bords...

"Toriotis" avait paru soudain très gêné d'entendre dire que "son amie" pouvait être sa petite copine. Il changea subitement de tête quand Juichi lui apprit la maladresse de Yumé. Il se tourna même vers la porte, très inquiet. Juichi éclata de rire content de sa connerie.

- Hey, mais non t'inquiètes pas pour elle! Je déconnais. Yumé est toute gentille, elle parle un peu beaucoup mais ça devrait pas te déranger apparemment.

Il lui donna une petite tape sur l'épaule en rigolant et se remit devant sa fenêtre pour regarder le fleuve.

Si elle savait ce que j'ai dit Yùu me frapperait... Et faut sérieux que j'apprenne leurs noms ça devient chiant là...

Il entendit un petit bruit de porte, et vit Yumé sortir avec un sourire.

La jeune fille n'était toujours pas réveillée et cela commençait à ennuyer Yumé. Les yeux de l'adolescente se fermèrent progressivement elle prit alors la décision de s'allonger quelques instants. Aussitôt dans les couvertures de son ami, le sommeil s'empara d'elle avide de lui en faire voir de toutes les couleurs.

{Il faisait noir, tout noir, on entendait des rires moqueurs d'enfants, puis progressivement des yeux et des bouches rieuses apparurent en cercle. Au centre de ce cercle une jeune fille en uniforme qui pleurait à chaudes larmes. Des mots fusèrent dans tout les sens: « assassin ! », « meurtrière ! » , « monstre ! "}

La jeune fille ouvrit brusquement les yeux, sa respiration saccadée et des larmes perlaient sur ses joues. L'odeur que dégageait le lit l'apaisa rapidement. Elle aimait cet odeur, une odeur un peu poivrée : une odeur masculine, celle de la personne qu'elle allait voir à chaque fois qu'elle avait peur, ou qu'elle était triste. La personne qui avec son oncle l'avait sauvée de la déprime et lui avait reconstruit une vie : Juichi. Elle se releva doucement regarda si Altaïs était toujours inconsciente. Elle en profita donc pour aller se passer de l'eau sur le visage. En se regardant dans la glace, elle constata qu'elle avait les traits tirés par la fatigue. Elle prit sur soi et retourna dans la chambre, elle retourna au chevet de la jeune fille. À peine fut-elle assise sur la chaise que la jeune fille ouvrit les yeux. Yumé se leva d'un bond et courut vers la porte en se rattrapant de justesse avant de tomber. Elle ouvrit la porte précipitamment et dit :

- Elle est réveillée.

Altaïs n'avait rien vu venir, elle ignorait même ce qu'il lui été arrivé, elle savait simplement qu'elle n'arrivait pas à se réveiller. Elle n'avait aucune douleur, et avait l'impression que tout flottait autour d'elle. C'était très différent du monde onirique, il n'y avait rien en fait... jusqu'à ce qu'une voix paniquée arrive jusqu'à elle!

*_ Altaïs! tu vas bien?
_Euh oui je crois, je respire donc je ne dois pas être morte,et je n'ai mal nulle part, hésita-t-elle.
_ Je m'inquiétais pour toi ma chérie.
_ Quoi?, dit-elle avant de soupirer de dédain.
_ Oh non, profite que je sois là, normalement je ne peux pas te parler ici. Je voulais te dire avant que tu ne te réveilles que Tonimis a raison.
_ Sur quoi?
_ Tes pouvoirs. Tu dois croire en toi, le groupe a besoin de toi les dangers qui vous guettent sont grands, la nature est puissante alors si tu fais l'effort de croire en toi et en elle tu apprendras à faire de grandes choses, de très grandes choses. Après avoir gagné confiance en toi, les autres vont aussi t'estimer comme il se doit quand ils sauront ce dont tu es capable, et tu es loin d'être la plus faible.
_ Comment vont évoluer mes pouvoirs?
_ Tu pourras communiquer avec °Enatura non!, résonna une voix sans timbre°. Je ne peux rien te dire je suis désolée, et pour me punir 'Il' va me faire partir d'ici.
_ Oh non!
_ Va, rejoint tes amis dès que tu le peux, ils sont inquiets. Sache que je crois en toi encore plus qu'en tous les êtres vivants de la réalité, alors fait de même.
_ D'accord, je vais faire cet effort. Quand vais-je vous revoir?*

Altaïs n'obtint aucune réponse supplémentaire, mais elle avait compris le principal: elle devait croire en elle bien que ce soit difficile. Elle devait le faire pour le groupe, pour ne pas être leur handicap et leur faiblesse justement. *En plus, je ferais plaisir à Tonimis, au lieu de faire des bêtises et d'attirer les ennuis.* C'est avec cette idée en tête qu'elle ouvrit les yeux.
La jeune fille, Yumé, dont elle avait fait la rencontre juste avant de s'évanouïr partit aussitôt, puis elle l'entendit ouvrir une porte et dire "elle est réveillée". Le lit sur lequel elle était étendue était douillet, et la chambre semblait confortable, mais elle était désorientée, elle se rappelait être dans un parc en train de discuter, puis réconforter sa nouvelle amie et plus rien. L'instant d'après, trois personnes étaient autour d'elle et la regardaient en silence.

_ Je vais bien, commença-t-elle en se redressant. Qu'est-ce qui s'est passé? Et où sommes nous?

Tonimis était si heureux qu'elle soit enfin rétablie qu'il s'apprêtait à lui sauter au cou quand il se rappela qu'ils n'étaient pas seuls. Mais il répondit néanmoins aux questions d'Altaïs:

_ Je suis content que tu ailles bien, je me suis fait du soucis pour toi. Bref, après que tu te sois approchée de Yumé, Juchi (J'espère que c'est ça) a... Comment dire ? Il s'est senti agressé et t'a renvoyé avec son pouvoir.
_ Ouais, tu l'as dit, murmura Juichi pour lui-même.
_ Ensuite, reprit-il, j'ai...

Il se stoppa net dans son élan. Comment pouvait-il expliquer à Altaïs qu'il s'était battu contre Juichi après cet incident. Les paroles de Yumé lui revinrent en mémoire: Elle aurait sans doute honte de toi Tominis et elle serait très triste de voir que deux personnes s'entretuent au lieu de lui porter secours. Elle avait bien évidemment raison et devant son regard insistant, il préféra lui mentir.

"Je disais donc, ensuite, j'ai clarifié la situation avec Yumé et euh... Jisi... (Son nom est trop compliqué) Et nous avons décidé de t'amener ici, dans leur chambre d'hôtel."

Tonimis pria pour que les deux autres ne lui disent pas la vérité, elle était assez secouée comme ça ces derniers temps. Déjà qu'il devait se battre pour lui faire comprendre qu'elle avait du potentiel, il devait faire attention à ce que personne ne la secoue encore.

_ D'accord, et bien merci à vous deux de m'avoir prêté ce lit, annonça-t-elle avec naturel.

Puis, elle se leva comme s'il n'y avait rien eut. Elle ne voulait surtout pas qu'ils s'inquiètent, elle était seulement courbaturée, mais cela était aussi et surtout du à son enfermement récent. C'est en voyant le comportement de Juichi qu'elle se rendit compte qu'elle avait oublié de lui dire quelque chose.

_ Il est évident que je te pardonne Juichi, je suppose que tu n'as pas fait exprès, que c'était l'instinct. Mais j'espère que cela ne se reproduira plus, j'apprendrais à trouver les limites, dit-elle en souriant. Maintenant nous formons une équipe, nous avons eu du mal à nous réunir alors il faudra que l'on se rapproche les uns des autres pour ne pas que l'on se divise lorsque la situation deviendra plus périlleuse, ce qui arrivera sans doute.

Tous trois semblaient un peu surpris et gardaient le silence, elle poursuivit donc.
_ On fait quoi maintenant? Enfin, si il reste du temps avant qu'il ne fasse nuit, parce que je n'ai aucune idée du temps que j'ai passé inconsciente.

"Comme tu l'as dit, nous pourrions faire plus ample connaissance et nous rapprocher les uns des autres."

Voyant que personne ne l'interrompait, Tonimis continua:

"Nous devrions aussi nous lancer dans la recherche des deux derniers membres. Avec Altaïs, nous avions essayé de vous retrouver avec nos rêves, même si nous n'avons pas réussi, nous pouvons toujours retenter l'expérience. Et la journée, nous pourrions nous entraîner à la maîtrise de nos dons, même s'ils sont différents, nous pouvons toujours nous aider les uns les autres."

Yumé, Juichi et Altaïs acquiescèrent. Ils se lanceront donc à la poursuite des jumeaux et ils s'entraîneront pour maîtriser davantage leurs dons. La route sera longue, chacun en était conscient, mais maintenant qu'ils avaient commencé, ils pouvaient difficilement faire machine arrière.

Julie ferma son livre, se redressa et s’assit sur le rebord de son lit. Elle était fatiguée aujourd’hui, elle n’avait pourtant pas passé une journée difficile, elle n’avait pas fait grand-chose… D’un regard absent, elle parcourut sa chambre et se surprit à de nouveau penser à son ancienne maison et surtout à son ancienne chambre : elle est plus grande que la précédente, de beaucoup trop pour que l’on n’en distingue pas la différence. Elle possédait trois longues et hautes étagères, lourdes de livres, revues et ouvrages de tous genres et de toutes époques… En face, ce situait un bureau en bois massif, sombre et usé par le temps, orné de crayons, d’outils et de classeurs ainsi que d’une lampe à la lumière jaune apaisante surtout après une longue journée de travail intellectuel… Elle aimait son bureau et appréciait y travailler car il lui avait été donné par son père il y a longtemps. Juste au dessus, une grande fenêtre s’ouvrait face à un immense saule pleureur, vers un jardin espacé et très coloré, vêtue d’une pelouse d’un vert éclatant malgré cette chaleur et bien entretenue…

Cela faisait maintenant presque deux ans, deux longues années, qu’ils avaient emménagés avec leurs parents adoptifs à Los Angeles. Elle ne s’y sentait pas à l’aise, ce n’était pas son pays, sa ville…mais elle n’avait pas eu le choix, son père, qui travaillait pour une société financière, avait été promu et dirigeait maintenant une partie de cette celle-ci – ce qui avait par ailleurs largement augmenté leur niveau de vie. Leur nouvelle demeure, car il s’agissait presque d’un manoir, était spacieuse même un peu trop à son goût. Elle lui rappelait parfois l’orphelinat dans lequel elle avait passé une grande partie de son enfance avec son frère, surtout par la présence de leur grande bibliothèque…

Mais elle jugeait cette ville trop peuplée et cette ambiance bondée l’agaçait par-dessus tout. A rajouter à cela, la chaleur suffocante de cette fin de mois de juillet l’empêchait de dormir, ce qui la rendait un peu frustre…

Plongée dans ses pensées et cette remémoration du passé, elle n’avait pas vu le temps passer. Elle se leva d’un bond et regarda sa montre : Il est presque 18h, Thomas va bientôt sortir de la salle d’entrainement… Heureusement qu’il en sort de temps en temps, sinon il y passerait toutes ses journées… Depuis qu’il n’a plus son maître d’arts martiaux, il s’entraine seul et refuse qu’on le dérange… sous aucun prétexte.

D’un pas leste, elle sortit de sa chambre, en y jetant un dernier regard même si elle ne la quittait ne serait ce que pour quelques heures mais presque avec regret… Il faut que je lui en reparle, il n’a rien voulu me dire la dernière fois et même s’il n’aime pas trop parler de ses pensées… Je dois savoir, on ne peut pas se permettre de ne pas y penser. Plus j’y pense et plus je crois que ce rêve était réel pourtant c’est tellement irrationnel… ça défie toutes les lois…

Pendant ce dialogue intérieur, elle était déjà arrivée dans la cuisine. Le majordome, d’origine française, s’attelait déjà à la préparation du repas de ce soir. Au moment où elle allait lui demander ce qu’il y avait au menu, Thomas entra en trombe dans la pièce, vêtu d’une simple serviette autour des hanches…
« Tiens ! Te voilà toi ! Tu sors enfin de ton repère…il faut qu’on parle…

Thomas ne prêta pas de suite attention aux paroles de sa sœur. Il était plongé dans ses pensées comme cela lui arrivait très souvent et encore plus ces derniers temps. Il avait passé beaucoup de temps dans la salle d’entrainement ce jour-ci et n’avait pas vu le temps passer. Après s’être exercé au kendo pendant la matinée, il avait consacré son après-midi à la méditation. S’entraîner seul n’était pas une tâche facile et il lui arrivait parfois de regretter son maître. Ses parents adoptifs lui avait pourtant proposé de faire venir un maître particulier à domicile mais après trois essais, Thomas s’était rendu à l’évidence : aucun ne pouvait égaler la sagesse, la compréhension et le potentiel de Nakaeshi, son ancien maître. Il s’était donc résigné à s’exercer seul.

Il faisait des progrès, certes, mais pas assez suffisant à son goût. Son œil gauche l’handicapait, c’est pour cette raison qu’il passait autant de temps à méditer. N’essaie pas de suivre des yeux ton adversaire, lui avait conseillé Maître Nakaeshi, mais plutôt de ressentir sa présence. Parfois, il essayait de combattre les yeux fermés pour aiguiser ses sens mais malgré tous ses efforts, il ne se sentait pas encore assez fort et n’avait pas encore assez regagné confiance en soi. Nakaeshi croyait en lui. Il disait qu’il avait du potentiel car contrairement à ses autres élèves, Thomas était d’une patience remarquable et d’une motivation sans faille.

Après son entraînement, il avait pris rapidement une douche dans la salle de bain près du dojo pendant laquelle il s’était mis à penser de nouveau à ce rêve étrange. En se réveillant, il avait tout d’abord ressenti une grande peur. Le moment d’en apprendre plus sur ses mystérieux dons mais également d’abandonner cette vie calme et sans embûche était-il arrivé ? Car Thomas le savait, les réponses ne viendraient pas d’elles-mêmes : il devrait les chercher et ce ne serait pas de tout repos ! Jusque là, il avait pris soin d’éviter d’engager la conversation avec Julie même s’il savait qu’elle avait partagé le même rêve. Il devait réfléchir seul avant de pouvoir lui en parler.

Après sa douche, Thomas avait saisi une serviette et l’avait mise autour de sa taille. Il avait ensuite quitté la salle d’entraînement. En traversant la cuisine pour emprunter les escaliers pour se rendre dans sa chambre, il était tombé nez-à-nez avec Julie.

Après quelques secondes, le temps d’émerger du fin fond de ses pensées, Thomas réalisa que Julie lui parlait. Gêné de se trouver en sa présence - mais aussi en celle du majordome – dans un tel accoutrement, il rougit et baissa les yeux.

« Ecoute. Quoi que tu aies envie de me dire, ne restons pas ici. »

Il savait de quoi elle voulait parler. Mais il était trop tôt ! Beaucoup trop tôt ! Il n’avait pas eu le temps de bien réfléchir. Qu’allait-il pouvoir lui dire ?

« Bien, comme tu voudras. Vas d’abord t’habiller, je serai dans le jardin.
- Compris, je n’ai pas le choix…hein ? Hum...J’arrive dès que j’ai fini… »

Julie regarda son frère partir, d’un pas nonchalant comme si on venait de lui demander l’impossible. Elle se retourna, remercia le majordome et partit en direction de la porte arrière de la cuisine, qui menait à la terrasse arrière puis au jardin. Elle se pencha sur la balustrade. La vue était majestueuse : au pied des marches, se tenait une fontaine crachant de l’eau transparente qui miroitait sous le soleil de plomb. Celle-ci retombait en formant plusieurs arcs. Julie pouvait observer les couleurs de l’arc-en-ciel. Il s’ensuivait un petit ruisseau presque devenu naturel avec le temps – la mousse poussait sur les pierres toujours humides, les roseaux et nénuphars s’étalaient avec aisance sur ce cours d’eau bien trop calme. Les quelques poissons, rouge et blanc, originaires du japon ne semblaient pas se plaindre de cet environnement luxuriant et sans danger.
Par cette chaleur bien moins pressante en cette fin de journée, Julie descendit les quelques marches pour parvenir sur l’allée couverte de grès qui menait plus loin, après le ruisseau, à l’énorme saule pleureur qui faisait face à sa chambre. Agé d’une soixantaine d’année, cet arbre très vieux pour son espèce, créait une ombre démesurée sous ce soleil pointant presque à l’horizon…
On y avait déposé un banc en bois sur lequel Julie alla s’asseoir pour y attendre son frère. Il ne fut pas long à apparaître, d’une démarche plus certaine cette fois. Il s’arrêta au niveau de sa sœur et s’assit.
Ils ne dirent rien pendant quelques minutes qui parurent une éternité. Enfin, Julie brisa le silence :

« Te souviens-tu du jour où tu as failli perdre la vie à cause de moi ? De ce que tu m’avais raconté sur ce qu’il t’avait semblé se passer au moment où tu avais hurlé au camion de s’arrêter ?
- Oui… je me rappelle aussi de la douleur en me réveillant, de cette impossibilité d’agir à temps pour nous…
- Je voudrai que tu me racontes encore comment tu avais arrêté le temps semble-t-il car tu es le seul à avoir vu le camion s’arrêter à l’époque, ne serait-ce qu’une fraction de seconde.
-Pourquoi ? dit-il d’un ton empreint d’une certaine colère. Tu sais très bien comment cela s’est passé !
-Calme-toi…je cherche juste à mieux comprendre… En faisant l’hypothèse que tu as un véritable don, et en considérant qu’elle est vraie, alors on peut conclure que le rêve que nous avons fait n’est pas un simple rêve…
-Pff…toi qui te prétends si rationnelle, voilà que tu te mets à penser comme une fantaisiste et…
-Ecoute, je cherche juste à savoir…
-Ce ne sont que des spéculations !
-Oh ! Parce que toi ca ne te trouble pas ? Dis aussi qu’il ne s’est rien passé pendant que tu y es…
-Ce n’est pas ce que j’ai dit ! De toute façon, même si tout est réel, on n’a aucun moyen de savoir…tu ne crois pas ?
-Je ne sais pas…aucun des livres de la bibliothèque ne relate de phénomènes pareils à part les romanesques…et ce n’est pas crédible…
-En effet, autant regarder dans les revues de presse…dit-il en souriant pour détendre l’atmosphère…
Julie lui rendit son sourire, s’adossa au banc avec les bras en arrière. Elle le regarda de nouveau mais il avait déjà tourné son regard vers le fond du jardin. Il semblait dans ses pensées, très loin dans sa mémoire :

« A quoi tu penses ? dit-elle avec désinvolture…
Il ne répondit pas tout de suite…
-Il y a peut-être quelque chose à faire…dit-il avec lenteur. Julie se leva d’un bond, à la fois excitée et médusée par les derniers propos de son frère…

Le regard borgne de Thomas fixait le fond du jardin. Au-delà du chemin pavé de grés qui menait à la porte arrière de la demeure, au-delà des cyprès et des eucalyptus qui dessinaient une limite autour du domaine, une route peu fréquentée menait à une vieille et petite tour à la peinture grise et écaillée. Cette tour se dressait au bord d’une falaise pentue qui offrait par la même occasion une vue magnifique sur une partie de la ville de Los Angeles.

« Alors ? insista Julie. Quelle est cette idée ?
- De quelle idée parles-tu ?
- Ne joue pas avec mes nerfs ! Tu sais très bien de quoi je parle !»

Quel idiot ! Voilà qu’il venait de penser à voix haute ! Non ! pensa-t-il. Il est hors de question que j’en vienne à ces extrémités pour réveiller mes dons ! Thomas secoua la tête, honteux d’avoir pu ne serait-ce qu’une fraction de seconde penser à une idée pareille. Le moindre accident pourrait entraîner une véritable tragédie et Thomas pourrait en perdre le goût de vivre.

« Alors, c’est donc ça… murmura Julie d’une voix presque inaudible. »

Thomas dévisagea sa sœur avec un regard inquiet. Ses yeux fixaient la cime des conifères du jardin où l’on pouvait apercevoir le sommet de la vieille tour. Comme si elle venait de lire dans les pensées de son frère !

« Si ça peut t’aider à en avoir le cœur net ! »

La voix de Julie tremblait légèrement au fond de sa gorge mais son regard d’un gris profond semblait déterminé et ne pas connaître la peur.

« Julie ! Oublie ça ! Il doit exister d’autres moyens et nous les trouverons mais par pitié, rentrons et parlons-en plus tard !
- Non… Thomas, tu as raison. Tes pouvoirs sont la clé… Je le sens… »

Elle se redressa encore plus déterminée que jamais. Thomas la saisit par le poignet pour la retenir.

« Julie ! Arrête ça je t’en prie !
- On ne peut pas rester les bras croisés… Il faut agir…
- Tu ne comprends pas Julie. Je… je…
- Ca fait combien de temps que tu essaies d’utiliser tes dons sans succès ? Six ans ? Depuis l’accident en réalité ! Tu ne dis rien mais je te connais Thomas !
- Julie ! Écoute-moi…
- Si c’est le seul moyen alors j’irais !
- JE NE VEUX PAS TE METTRE DE NOUVEAU EN DANGER ! »

Thomas venait de crier, lui qui était habituellement si calme et qui ne se mettait jamais en colère…Mais loin d’être de la colère, le cri de Thomas était plutôt un cri du désespoir. Les yeux rouges et larmoyants, dont l’un, d’un marron laiteux, trahissait sa monophtalmie, laissèrent échapper quelques larmes qui ruisselèrent le long de ses joues.
Julie ne broncha pas. Elle regardait Thomas en fronçant les sourcils et en serrant les poings. Elle tremblait légèrement, probablement sensible à la vue de son frère qu’elle n’avait pas vu pleurer depuis si longtemps. Finalement, elle lui tourna le dos et marmonna :

« Je te fais confiance, petit frère. »

Cela faisait plusieurs années qu’elle ne l’avait pas appelé ainsi ! Sur ces mots, Julie partit… en direction de la tour…

Mais c’était d’un pas un peu chancelant… Non ! Je dois être forte, je ne mourrais pas ! Il peut le faire ! Il le fera !
Julie repris sa marche, redressant les épaules, un pas après l’autre…calmement mais sûrement. Cela devait en être ainsi…
Thomas la suivait, tremblant, il ne voulait prendre le risque de la perdre… Elle est ma sœur bon sang ! Je ne peux pas la laisser faire ca ! Pensa-t-il.
- Arrête ! Ce n’ai pas prudent !
- La vie est une imprudence ! Pourquoi vivons-nous si ce n’est pour prendre des risques ?! Nous sommes les seuls maîtres de notre Destin ! Et j’ai pour l’instant choisis mon but ! Celui de t’aider à conquérir le temps ! Tu n’as pas le choix, je ne te laisse pas le choix !
- Je…hum…je ne te ferai pas changer d’avis hein ?
-Non…
Pendant leur querelle à propos de leur avenir, ou plutôt le choix de vie ou de mort que Thomas allait avoir sur sa sœur, ils étaient arrivés à la maison… Julie traversa en trombe la porte de la terrasse puis la cuisine pour déboucher sur un long et large couloir. Elle sembla s’arrêter un instant, comme pour observer les alentours. Le couloir était, ironiquement, comme suspendu dans le temps. Des armures en épées vieilles de plus de mille ans pour certaines séjournaient là. La première était grande d’haut moins deux mètre, d’un métal noir mat dont elle ignorait la composition ; la seconde, plus petite, était d’une couleur acier brillant, le cavalier qui l’avait porté avait surement des épaules très larges pensa-t-elle... Les autres armures étaient toutes aussi impressionnantes… Les murs étaient recouverts de tapis brodés disposés à intervalles réguliers dernière les armures. Leur couleur rouge sang contrastait fortement avec celle, sombre, du sol en pierre. Entre eux étaient accrochés des armes en tout genre, datant de toutes les époques : des épées et des sabres, des hallebardes, des lances, des arbalètes, des fléaux et des masses gigantesques qui avaient dû être portées par des colosses…
Pendant cet instant, de quelques secondes seulement, Thomas cru que sa sœur avait changé d’avis. Mais cette pensée fut de courte durée car elle repartit plus vivement. Ils ne parlaient plus maintenant, trop absorbés par l’issue de cette histoire, leur histoire. Thomas doutait, beaucoup même mais il voyait sa sœur si déterminée... Déterminée à l’aider même si elle devait en mourir… Absurde ! Je dois la ramener à la raison, quitte à utiliser la force !
Ils avaient atteint l’extrémité du couloir et arrivaient maintenant au salon. Ils se dirigèrent vers la sortie afin de faire le tour du domaine…
Arrivés dans la cour, Thomas hurla :
« Arrête ! Il la prit violemment par le bras, la tira en arrière mais décidée à ne pas se laisser faire, Julie le gifla si fort qu’ils en tombèrent à la renverse. A peine remis sur pied, ils se regardèrent droit dans les yeux, tels des fauves prêts à l’attaque…
-Je t’ai dit que j’ai fais mon choix, c’est ma vie que je mets en jeux ! Pas la tienne !
- Justement ! C’est cela qui me pose problème ! Je ne veux pas te perdre ! Je n’ai plus que toi !
- Ecoute…si tu éprouves du respect pour moi, alors nous tenterons l’expérience. Fais-le !! Et puis j’ai confiance en toi !
- pff…
Ils se remirent en route pour cette tour, leur fatidique destination… A peine arrivés, Julie s’arrêta pour l’observer. Vue de près, elle paraissait plus grande, haute d’une quinzaine de mètre elle surplombait la ville du haut de cette colline. Relativement éloignée du reste de la civilisation, son utilité restait mystérieuse…surtout au bord de cette falaise escarpée qui menait tout droit à un précipice d’au minimum deux cents mètres… Sa construction n’avait aucun but militaire. Elle a certainement dû être construite par l’excentrique ancien propriétaire qui ne savait pas quoi faire de son argent…pensa-t-elle. Sa forme était peu commune, une sorte de plate-forme circulaire qui en faisait le tour, avait été aménagée à son sommet.
« Bien, je vais monter…dit-elle d’une voix forte…commence à te concentrer.
-Ok, répondit-il d’une voix tremblante qu’il tenait à maîtriser…»
Julie poussa la porte. L’intérieur était sombre, vieux et sale. Seules quatre petites fenêtres permettaient d’éclairer cet impénétrable lieu. Et le soir couchant n’arrangeait pas la visibilité… Julie emprunta l’escalier en colimaçon qui suivait les courbures du mur jusqu’au sommet. Arrivée en haut, elle franchit la petite porte qui menait à ce promontoire étrange… Elle fût pendant quelques instants émerveillée : le paysage de cette grande ville, sous l’orée de ce soleil couchant, était grandiose… De cette hauteur, on pouvait distinguer les maisons de la banlieue mais aussi les lointains gratte-ciels entre lesquels filtrait la lumière rouge du soleil… Les couleurs vermeils, et rose-orangée très prononcées du ciel annonçaient le fort vent du lendemain… Derrière ce spectacle unique, on pouvait distinguer l’océan pacifique, miroitant au loin, dans lequel le soleil peinait à se fondre…comme s’il ne voulait pas partir, comme si le dénouement de leur histoire l’intéressait… Julie qui se surprit à rêvasser devant la beauté du monde, se rappela son but… Elle se pencha en avant de la balustrade, par-dessus laquelle elle vit son frère, si proche et pourtant si loin… Prise subitement de vertige, elle recula… D’une voix qu’elle se voulait la forte possible mais pourtant tremblante elle annonça :
« Il y a des morceau de vieilles briques ici, on va commencer par ça !
- Bien sûr ! C’est une bonne idée ! répondit-t-il d’un air un peu plus joyeux…
-Attention ! Je lance !
Julie lança la première, d’un rouge sale mais celle-ci alla tout droit s’écraser sur le sol rocailleux, aux pieds de son frère.
- Désolé, j’étais pas près ! Vas-y recommence !

La deuxième brique s’envola, à l’œil de Thomas, elle semblait lente, bien trop lente comme si le temps ne voulait pas avancer alors que le soleil avait déjà disparu à l’horizon… Il faisait sombre mais on y voyait clairement. Quant à l’objet de sa pensée, il continuait dans son élan, comme s’il se moquait des ordres qu’hurlaient Thomas… Puis, dans un élan automatique, il fit comme avec le camion :
« ARRETE !!!!!!! hurla-t-il.
Comme si elle avait enfin entendu sa requête, la brique s’arrêta net. Thomas l’observait, il avait réussi ! J’ai stoppé le cours du temps !
Pourtant, on entendait toujours le bruissement des feuilles dans le vent et les bruits lointains de la ville. Mais ni sa sœur, ni la brique ou un quelconque objet ne bougeaient. Même les aiguilles de sa montre semblaient figées… Cet instant, il le regarda de longues secondes qui parurent une éternité…une éternité figée.
Mais le cours du temps repris son allure, il n’avait rien pu faire…la brique alla éclater dans un nuage de poussière rouge.
« J’ai réussi Julie ! Tout c’était arrêté ! Tout était figé dans un rayon d’une cinquantaine de mètres ! Même le vent !
- C’est génial petit frère !
-Peut-être mais le résultat n’est toujours pas là, la brique à quand même explosé !

Sans attendre plus d’explications, comme si elle ne voulait pas en savoir plus, Julie prit appuis d’une main et se positionna debout et en équilibre sur la rambarde… Les cheveux virevoltant dans le vent, la belle écarta les bras faisant de son corps une croix… Elle se pencha en avant, pris appuis sur ses genoux et sauta, tel un ange tombant du ciel, sous le regard affolé de son frère…
« NOOOON !!!!!!!!!!!! »

« NON !!!!! JULIE !!!! NON !!! »

L’écho du cri de Thomas sonnait comme le glas funèbre de sa propre mort. Impuissant, il ne put faire un pas en avant vers la rambarde comme si le temps l’avait lui-même figé. Les secondes qui suivirent furent interminables puis un bruit sourd d’os brisés retentit en bas de la falaise.

Dans les pensées du jeune garçon, la tristesse se mêla à la culpabilité. Pourquoi n’avait-il pas arrêté le temps ? Pourquoi s’était-il senti si impuissant ? Avait-il eu peur que sa sœur explose comme la brique quelques minutes auparavant ? Et pourtant, il savait très bien qu’elle n’aurait pas explosé comme ce fut le cas il y a six ans ! Comme si le désespoir rendait Thomas plus puissant…

Ces questions n’eurent plus aucun sens. Julie était morte. Il avait échoué. Tous les efforts qu’il avait fournis jusque là n’avait servi à rien : désormais, il n’avait plus aucun but dans sa vie, plus aucune personne à ses côtés…

Thomas ravala un sanglot, se rapprocha de la rambarde et regarda dans le vide. Les yeux brouillées par les larmes, il ne vit pas sa sœur mais il put deviner que son cadavre gisait quelque part parmi les quelques arbres. Thomas prit appui sur la rambarde et l’enjamba. Le vide l’appelait de sa voix tentatrice et l’envie de retrouver l’âme de Julie se fit de plus en plus forte. Des larmes roulèrent sur ses joues pour venir s’écraser plus bas. Alors, Thomas glissa.

Le vent giflait son visage avec violence mais peu lui importait : dans peu de temps, il rejoindrait sa sœur dans les doux bras de la mort. Il ferma les yeux. Allait-il retrouver Julie dans un monde où tous ses soucis auraient disparus, dans un monde où il n’aurait pas besoin d’avoir confiance en lui pour être heureux, dans un monde où il n’aurait plus aucun don mais une vie paisible ? La chute lui semblait interminable. Ah si tout ceci ne s’était jamais passé ! Oui, jamais passé…

« Il y a des morceaux de vieilles briques ici, on va commencer par ça ! »

Le vent s’était arrêté de siffler dans les oreilles de Thomas. Etait-il mort ? Alors pourquoi pleurait-il encore, pourquoi son cœur lui faisait encore si mal ?

« Thomas mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ce n’est que quelques briques ! Arrête de pleurer, ça en devient ridicule !»

Etait-ce bien la voix de Julie qu’il venait d’entendre ? Au moins, elle était à ses côtés ! C’était tout ce qui comptait ! Il ouvrit alors les yeux. Sa sœur se tenait devant lui, une brique à la main et le fixait d’un regard inquiet. Derrière elle, une vue splendide d’une immense ville éclairée et plus loin, de l’océan qui reflétait la lueur de la lune se détachait à l’horizon. C’est alors que Thomas comprit.

« Ju…ju…Julie ! »

Le jeune garçon se précipita dans les bras de sa sœur, les yeux humides à cause du choc et de l’émotion.

« Julie… j'ai réussi… »

*************

Bip bip bip…
Julie darda une main distraite sur le réveil… En se redressant, elle constata qu’il indiquait cinq heures. Elle se mit sur pied dans un bruit mat et alla ouvrir la fenêtre de sa chambre. Le soleil pointait son nez, mais de la où elle était, elle n’en voyait que la lumière dont le halo, commençait à éclairer le jardin et les gouttes de pluie de la nuit qui perlaient encore des feuilles de son arbre… Le saule semblait pleurer après le passage de la tempête, le soleil n’ayant pas encore eu le temps de sécher ses larmes.
Cela faisait trois jours maintenant que l’incident de la tour, inexistant dans sa mémoire, avait eu lieu. Julie se repassait sans cesse les évènements dans la tête…Alors qu’elle venait à peine de lancer la première brique, son frère qui devait être quinze mètres plus bas, s’était retrouvé sanglotant derrière son dos. La seule explication possible, dont cet évènement étrange est la preuve…il est en mesure de remonter le temps ! C’est fantastique…ou plutôt magique…

Julie descendit de son refuge, pour s’installer à la table du salon, aux côtés de son père qui se levait souvent très tôt pour travailler. Sa fonction ne lui permettait que peu de repos pour l’instant… Le majordome avait amené un petit déjeuner copieux, à l’américaine. Il avait déposé des pancakes, des céréales, des toasts chauds et dorés à point avec du sirop d’érable ainsi que des tranches de bacon; le tout avec des fruits pour compléter le repas…
« Bonjour à tous les deux ! dit- elle d’un ton jovial, en embrassant son père d’un baiser sur la joue.
-Bonjour à vous mademoiselle, répondit le majordome.
-Bien dormi cette nuit ? On ne peut pas dire qu’il a fait trop chaud…
-En effet, j’ai pu enfin passer une nuit complète mais de toute façon, j’étais trop fatiguée…

Comme à son habitude, Thomas entra en vitesse dans la pièce. Son visage avait repris des couleurs maintenant… Il parait peut-être même plutôt joyeux…

Dans une vaste vallée déserte, Thomas marchait là où ses pas le menaient, éclairé par la douce lumière des astres brillants. Ignorant où il se trouvait ni même où il se rendait, il se laissait bercer par le chant des étoiles qui scintillaient. Aucune présence de vie ne venait troubler le silence qui dégageait une atmosphère mystérieuse, hormis la douce mélopée qui venait du ciel. De temps à autre, les étoiles semblaient tomber sur la Terre pour s’évanouir avant d’atteindre le sol. Dans cette contrée où tout semblait figé, Thomas ressentait une immense sérénité.

A l’horizon, la silhouette d’une vieille et imposante forteresse se détachait. A son approche, Thomas ressentait de plus en plus l’énergie sacré qui émanait de ce lieu. Construite sur le versant d’une montagne nue, comme si elle en faisait elle-même partie, elle semblait tomber en ruine. Devant le large pont de pierre qui permettait de franchir la profonde gorge qui séparait la vallée du château, d’immenses statues de plus d’une centaine de mètres s’étaient écroulées sur le sol. De plus près, bien qu’elles fussent difficilement identifiables, elles semblaient représenter de gigantesques colosses.

Thomas franchit le pont et passa sous la voûte de l’entrée presque aussi haute que les statues géantes. Il se retrouva alors dans une cour où des arbres ancestraux semblaient détruire de leurs branches et de leurs racines les murs de la forteresse. Au fond de la cour, une porte démesurée de pierre faisait face à l’entrée. En face de cette porte, Thomas put distinguer la silhouette d’un homme franchir le seuil. Poussée par une curiosité étrange, Thomas suivit ses pas tout en longeant les statues représentant des créatures humanoïdes ailées qui encadraient son chemin et entra dans le château. Au début, il ne vit plus rien puis l’obscurité laissa place à une lumière blanche et douce dont il ne put distinguer la source. Très vite, Thomas constata qu’il se situait dans une clairière entourée d’arbres immenses.

Au pied d’un arbre, un homme le regardait. Vêtu d’une large et longue robe blanche brodée de fils d’or, ses longs cheveux noirs de jais rasant le sol encadraient un visage aux traits tellement fins que sa beauté ne semblait pas avoir d’égal dans le monde des vivants. On dirait un Dieu...pensa Thomas.

«- Où suis-je ? demanda le jeune garçon, intimidée par l’atmosphère qui se dégageait de ce lieu.

-Dans un monde où le temps n’a pas d’emprise, répondit l’homme d’une voix profonde et douce qui égalait sa beauté. Un monde où il n’y a pas de vie ni de mort. Un monde qui ne vieillit pas. Un monde éternel. »

L’étrange homme prit sur le sol une poignée de sable dorée. En ouvrant la main, ce qui n’était qu’un peu de sable laissa place à un magnifique papillon bleuté qui s’envola en direction de Thomas.

« Vie et mort, jeunesse et vieillesse, passé et futur… sans le temps, tous ces concepts complémentaires n’auraient pas lieu d’être. Sans le temps, ces dualismes qui régissent la vie des Hommes se mêleraient pour ne devenir qu’un, laissant place à un monde instable et chaotique. »

Devant les yeux de Thomas, le papillon aux reflets bleus s’effrita en poussière dorée.

«- Qui êtes-vous ?

- Je suis celui qui représente le temps dans ce monde. Un dieu de vie, un dieu de mort… Mais il est trop tôt pour que je t’en dévoile davantage. »

Le décor changea tout d’un coup. Tout semblait disparaître et la voix de l’Homme-Dieu se fit de plus en plus inaudible.

«- Pourquoi ne voulez-vous pas m’en dire plus ? insista Thomas. Ce rêve, il est étrange. Il n’est pas comme les autres ! Pourquoi ?

- Un jour, tu auras les réponses. Va Thomas ! Prends soin de Julie car sans elle, le monde basculera vers un avenir instable ! Et surtout… crois en tes rêves ! Ils te guideront dans ta quête ! »

Thomas se réveilla. Le Dieu avait disparu ainsi que la clairière. Quel rêve étrange ! Il fallait qu’il en parle à Julie ! Il se précipita dans les escaliers sans prendre la peine de s’habiller en entra en trombe dans le salon. Peut-être qu’il avait une idée pour pouvoir contacter les autres…

« Bonjour Thomas ! Bien dormi ?
- Oui comme un loir…mais là, j’ai une faim de loup !
-Alors mange autant que tu le souhaite mais fais attention à ne pas être malade ! répondit son père.
Grand et d’une forte carrure, leur père était un homme assez mystérieux. Sa mâchoire carrée témoignait de son fort caractère et de sa volonté de progresser. Ses yeux noirs semblaient transpercer tout ce qu’ils fixaient. Sa seule présence imposait le respect. En général, il ne parlait que très peu et surtout pas de son travail mais il se montrait sous son meilleur jour envers sa famille. Julie et son frère ne savaient pas quel était son rôle exact dans la société qui l’employait et ils ne s’en préoccupaient guère.
- Bien ! Je crois que je vais vous laisser à cette table. J’ai beaucoup de travail et je ne peux me permettre d’être en retard. A ce soir ! Passez une bonne journée et ne dérangez pas votre mère, elle a passé une difficile semaine. Elle a le droit de se reposer un peu.
-Bien sûr, ne t’en fais pas, répondit Thomas d’un ton enthousiaste.
- A ce soir !
- Bonne journée monsieur !

Une fois le repas fini, les deux adolescents remercièrent leur majordome et prirent congés. D’un pas commun, ils se dirigèrent vers la porte de la salle à manger. En temps normal, ils auraient dû se séparer et prendre un chemin différent, Julie à la bibliothèque et Thomas à la salle d’entrainement. Mais aujourd’hui, il devait en être autrement.
« Julie ! Attends !
-Que se passe-t-il ?
-Il faut qu’on parle, c’est très sérieux. Je crois avoir une nouvelle piste..
- Ah bon ? dit-elle en le regardant d’un air intrigué. Vas-y raconte.
-Non, non pas ici. Allons à la bibliothèque, je ne voudrais pas que l’on soit dérangé.
-Par qui veut que l’on soit gêné ? Il n’y a personne ici…
- Oui c’est vrai.
Ils se dirigèrent, d’un pas alerte et rapide, vers leur destination. Sur le chemin, Thomas lui avait tout raconté. Son rêve avait été trop réel, il ne pouvait se permettre de ne pas lui en parler.
-C’est très étrange en effet. Mais après tout, avec ce qui s’est passé près de la tour, plus rien n’est impossible… Ainsi, il a dit de faire confiance à tes rêves…on peut donc en déduire que les quatre autres sont aussi réels. On doit pouvoir les retrouver !
-Oui c’est exact, et nos rêves en sont la clef.
-Tu penses que l’on pourra les trouver en rêvant ? Dit-elle d’un ton étrange… En admettant que ce soit possible, tu ne peux pas dormir toute la journée… Il doit donc y avoir des créneaux horaires plus propices…
-Tu te souviens ? Il y avait deux asiatiques dans le rêve…
-Oui, en effet, deux adolescents japonais et deux caucasiens habillés bizarrement… Bon écoute, je vais faire des recherches, il doit bien y avoir un livre qui parle de la communication par rêves…

- Dans ce cas, je viens t’aider. »

Thomas n’allait pas s’entraîner ce jour-là. Les paroles de l’étrange homme de son rêve l’intriguaient. Aujourd'hui, l’envie d’en connaître plus au sujet de ces rêves mystérieux surpassait celle de pratiquer les arts martiaux.

La bibliothèque du manoir avait tout pour être enviée par les plus avides de culture. De forme circulaire, chaque mur était recouvert de livres, classés par thèmes. En son centre, d’autres étagères semblaient lourdes et prêtes à se briser sous le poids des nombreuses archives qu’elles contenaient. Prêt des murs, à droite de la porte d’entrée, un petit escalier en colimaçon menait à l’étage supérieur où une étroite planche de bois faisait le tour de la pièce pour faciliter l’accès aux étagères plus hautes.

Thomas et Julie ne savaient pas exactement d’où venaient tous ces livres. Cyrus, leur père, s’était lancé dans un travail d’archives et collectionnait des documents rares et anciens. Il lui arrivait de passer des heures dans son bureau pendant les rares temps libres que lui accordait son métier mais les deux adolescents ignoraient ce qu’il y faisait.

« Mmh… Il y a une partie ésotérisme à l’étage, il me semble. »

Sur ce, Julie gravit les escaliers, suivit de Thomas. Ils se mirent alors à fouiller l’étagère de fond en comble ce qu’il leur prit la matinée entière. Mais au final, ils n’y trouvèrent rien qui puisse vraiment les mettre sur une piste.

« Je ne comprends pas, se plaignit Julie en tournant les pages d’un vieux livre intitulé Communication et Esprit. Toutes les informations trouvées sont vagues ! J’ai l’impression de perdre mon temps !
- J’ai peut être trouvé quelque chose, répondit Thomas. Les nuits de pleines lunes, répartissez 4 bougies dans chaque coins de la pièce et faîte brûler de l’encens à la myrrhe, au musc, à la cannelle et à la mousse de chêne. Etalez sur le visage de la résine de cèdre et…
- Non mais tu crois vraiment qu’on a besoin de faire tout ça ! l’interrompit Julie. Jusque là, nous n’avions pas à jouer les apprentis sorciers ! Il nous faudrait…je ne sais pas moi ! Quelque chose qui nous explique concrètement un moyen de concentration ou même quelques explications sur cet étrange monde où nous atterrissons !
- On peut toujours essayer ! C’est tout ce que nous avons ! Nous avons tout regardé !
- Non, pas tout. Il y a un endroit où nous n’avons pas cherché. »

Julie tourna les talons et descendit les escaliers. Arrivée devant le bureau de leur père, une pièce qui se situait à l’autre extrémité de la bibliothèque, elle tendit la main vers la poignée et la tourna. La porte s’ouvrit !

« Super ! se réjouit la jeune fille. C’est ouvert !
- Je ne crois pas qu’il serait d’accord… Et je ne pense pas non plus qu’il s’intéresse à la communication par rêves.
- Il ne nous a jamais interdit d’y entrer et puis, rien ne coûte de chercher ! le rassura Julie. »

La pièce n’était pas très grande comparée à la bibliothèque. Au fond de celle-ci, un large bureau se détachait dans la lumière que la haute fenêtre qui se situait derrière laissait entrer. Contre les murs de bois poli et verni revêtant plusieures frises de motifs peints, de nombreux diplômes et de tableaux remplissaient la pièce. Deux étagères accueillaient quelques livres que le père des jumeaux conservait.

« Mathématiques financières : analyse des théories, La Société Anonyme depuis la Révolution Industrielle, Le Dictionnaire de la Finance…
- J’ai trouvé ! s’exclama Thomas en brandissant un livre intitulé Le Monde Onirique. »

Il s’appuya contre le rebord du bureau de Cyrus et entreprit de le feuilleter. Il en fit ensuite la lecture afin que Julie puisse entendre :

« L’accès au Monde Onirique. Le Monde Onirique peut revêtir plusieurs aspects selon la pureté de l’esprit, la personnalité et les sentiments de celui qui l’invoque. Peu de gens ont accès au Monde Onirique. Seul ceux dotés d’une forte et puissante aura magique y ont droit. On peut y avoir accès consciemment ou inconsciemment. Dans le deuxième cas, deux explications s’imposent : soit l’âme de l’individu qui rêve a été invoquée volontairement par un autre être ou, beaucoup plus rarement, deux âmes peuvent se rejoindre dans le Monde Onirique sans s’en rendre compte si elles sont liées par un lien puissant et indestructible. Cette deuxième hypothèse n’a pas encore été prouvée du aux très faibles nombres d’exemples survenus à ce jour…
-Il m’a l’air intéressant… affirma Julie. Prenons-le ! Peut-être répondra-t-il à nos questions ! »

La jeune fille et son frère emportèrent le livre et quittèrent la bibliothèque.

Julie tenait le livre dans sa main, le regardant d’un air pensif :
« Je me demande ce que Papa fait avec un livre pareil, on n’utilise pas de rêves pour gérer une entreprise. Et je ne le vois pas croire aux rêves prémonitoires.
-En effet, mais il aime les vieux livres, peut-être affectionne-t-il particulièrement celui-ci. Va savoir…
-De toute façon, cela n’a pas d’importance. Et puis, nous avons tous notre part d’excentricité. Mais il va falloir regarder cela de plus près, il faudrait le lire en entier avant de tenter quoi que ce soit.
-Dans ce cas, je crois que je vais te laisser faire… les livres ce n’est pas mon domaine !
-Bien sûr, comme d’habitude, je me charge des corvées…, dit-elle en souriant
-De quoi te plains-tu ? C’est le genre de corvée que tu adores non ?!
-Très drôle Thomas. Bien, je vais te laisser t’entraîner, moi j’ai un ou deux trucs à faire. Je ne pourrais lire Le Monde Onirique que ce soir, il faudra patienter.
-Bah, après tout on n’est pas à une journée près. À tout à l’heure !

Ils se séparèrent et Julie s’arrêta pour le regarder partir sans entrain… Son rêve le préoccupe, on doit trouver des réponses au plus vite. De par la taille de la bibliothèque, leur recherche avait durée plus longtemps que prévue et il était presque 11h. Bon, je vais faire quelques recherches sur internet, maintenant que l’on sait ce que l’on cherche, ça devrait être plus facile.
En tournant à droite pour rejoindre la salle de jeu un peu plus loin, la jeune fille tomba nez à nez avec sa mère, Elisabeth. Malgré ses 41 ans, elle n’en paraissait que 35 et pourtant, elle n’avait pas eu une vie facile elle aussi. Grande et élancée, elle était dotée d’atouts non négligeables. Et ses courbes n’avaient rien à envier à d’autres femmes. D’une beauté particulière, presque mystique, ses grands yeux bleus – dont l’un était caché par sa frange – et sa longue chevelure d’un noir de jais lui donnaient un air de créature magique. Peut-être une elfe…
« Bonjour ma chérie, comment vas-tu ? Bien dormi ?
-Oui très bien maman, mais tu sais, je suis levée depuis longtemps.
-Ah, cela veut dire que je vais déjeuner seule. Tiens ! Qu’est ce que tu tiens dans la main ?
-Oh ça ? C’est juste un livre que j’ai pris à la bibliothèque.
-Je me doute bien. »
Sa mère regarda plus attentivement, d’un air songeur puis ajouta :
« Prends en soin, il était dans son bureau n’est-ce pas ? Je le reconnais.
-Oui en effet, lui répondit-elle d’un ton qui aurait pu être perçu comme de l’arrogance, que sa mère ne releva pas.
-Ton père apprécie ce livre, il est très vieux et totalement unique en son genre. Je ne préfère même pas imaginer son prix… Enfin, où vas-tu comme ça ?
-Je vais à la salle de jeu, sur internet.
-Alors je ne vais pas te retenir plus longtemps, moi je vais à la cuisine. À plus tard !

Une fois arrivée, Julie chercha sur son moteur favori de recherche mais comme d’habitude, les résultats étaient vains. Tel qu’il était décrit, le monde onirique ne correspondait pas à celui dans lequel elle et son frère avaient rencontrés les quatre autres. Il ne s’agissait là que d’un monde imaginaire sans consistance ni importance.
L’après-midi se déroula sans encombre mis à part le fait que Thomas ne s’était pratiquement pas entrainé de la journée. Ca ne lui ressemble pas mais je suis sûre qu’il surmontera de lui-même dès que nous aurons trouvé comment utiliser le monde onirique.
Leur père était rentré plus tôt aujourd’hui, ce qui leur permit de dîner tous ensembles. À la fin du repas, Julie réussi à prendre son père à part:
« Puis-je te parler une minute s’il-te-plaît ?
-La question ne se pose même pas Julie, qui y a-t-il ?
-Comme tu le sais, c’est bientôt notre anniversaire à Thomas et moi-même… enfin… je veux parler du jour où nous sommes entrés à l’orphelinat. On a quinze ans maintenant, et je souhaitais faire un cadeau un peu spécial à mon frère mais je n’en ai pas les moyens et surtout, je n’en ai pas l’opportunité… je t’en avais déjà parlé il y a quelques temps déjà et…
-Oh, je vois !, lui répondit-il en souriant. Je m’en suis occupé et je devrais le recevoir en livraison directe d’ici quelques jours.
- C’est bien un spécial, pas comme ceux que l’on trouve partout ?
- Bien évidemment, il sera sans égal. Tu pourras lui offrir dès que je le recevrai.
-Merci !, dit-elle en l’embrassant sur la joue, ce qui n’était pas du tout son genre !
Elle partit en courant, heureuse. Cette journée avait été riche et il était temps pour elle de commencer la lecture de l’ouvrage et peut-être même de leur avenir…
Dans sa chambre, le livre était là, tel qu’elle l’avait laissé, posé sur son lit. Elle le prit dans ses mains, à son bureau tout en allumant sa lampe, crachant sa lumière jaune sur la pièce, allongeant les ombres. Julie n’avait pas eu le temps de le regarder attentivement mais sa mère n’avait pas menti en disant qu’il était spécial. Sa couverture est d’un marron étrange, rappelant le cuir. Ce livre a été visiblement très abimé et la peau n’est pas la même à l’intérieur. Ses pages étaient jaunies par le temps. Julie commença à lire, tant bien que mal. Au bout d’une heure, elle se redressa pour s’étirer, éreintée par ce travail plus fatigant qu’elle ne l’aurait pensé car ce qui frappait le plus c’était...
« C’est moi, dit Thomas en entrant dans la chambre, sans même frapper. Tu as trouvé quelque chose ?
-Oui, il est très spécial mais je n’ai pas encore tout lu. Ce qui sera impossible dans tous les cas.
-Comment ça ?
-Regarde, dit-elle, en lui montrant le livre. Bien que très ancien, il comporte des pages écrites en caractères d’imprimerie mais aussi des pages manuscrites. À croire qu’il a été écrit sur plusieurs siècles voire millénaires, de par le nombre d’écritures différentes.
-C’est comme si personne n’avait eu le temps de le finir ou n’avait pu le finir. Il ne vaut mieux pas imaginer.
-Le papier est lui-même différent…, continua Julie comme s’il ne l’avait pas interrompue. Par ailleurs, il y a plusieurs langues dont certaines que je ne comprends pas. Regarde, là il s’agit de français, tu en as lu un passage ce matin. Et il s’agit de la fin du livre. Mais si on remonte, on remarque que les pages et les écritures deviennent de plus en plus vieilles, jusqu’aux écritures manuscrites là.
-Tu sais de quelles langues il s’agit ?
-Bien on commence par une langue assyrienne reconnaissable aux caractères cunéiformes. C’est la première langue connue donc il est sûr que cette partie a été réécrite, probablement à partir de tables en pierres. Elle n’est donc pas d’origine. Puis on observe des sinogrammes anciens. Ensuite, on passe à l’araméen, au grec et enfin au latin. Vers les dernières pages, on a de l’anglais, du japonais et du français à la fin.
-Donc si je comprends bien, on a des langues de plus en plus récentes… ce livre est donc si vieux ?
-Je dirais que certains passages ont au plus deux milles ans et ils sont très bien conservés. Je dis cela parce que les premières traces de papier sont datées de l’an -8 en chine mais on n’est sûr de rien. Mais les textes s’établissent sur au moins quatre milles ans.
-C’est énorme ! Il faudra qu’on le remette en place dès que l’on aura fini…
-Oui, je crois qu’il vaut mieux faire comme çà. Donc j’ai lu les passages en grec, latin, anglais et japonais.
-Et le français ? demanda Thomas avec un léger ricanement.
-Pfff… je ne répondrais même pas.
-Oh ça va ! Je plaisantais ! Bon vas-y ! Qu’est ce que tu as appris ?
-Comme on le sait déjà, pour accéder au monde onirique, il vaut mieux dormir, c’est plus simple. Mais il y a des conditions plus propices pour y entrer. Par exemple, il vaut mieux être calme et reposé, à l’abri d’un quelconque dérangement, surtout au début, quand on n’y a pas l’habitude… Donc si on veut y arriver, il va falloir entrer en méditation, puis s’endormir. Cela devrait marcher.
-Devrait ?
-Oui, ce livre traite du monde onirique mais pas seulement. D’après ce que j’en ai lu, on peut apprendre à développer ses capacités psychiques comme la télékinésie ou la télépathie si on a des prédispositions. Par ailleurs, celle-ci fonctionne très bien pour les jumeaux dotés de pouvoirs magiques. Il faudra que l’on essaye ! Ca pourrait être marrant !
-Oui dès que l’on aura pénétré le monde onirique.
-Ensuite, j’ai appris certaines choses même si ça reste confus. Je ne maitrise pas très bien les anciennes langues. En fait, tous les six, on serait des demi-dieux, nés de l’union entre un dieu majeur et un mortel. On est donc dotés de pouvoirs attribués à ces dieux. C’est pour cela que tu as rencontré Temporus, le dieu du temps. Pour les autres, je ne sais pas, il faudra que je relise tout demain.
-Pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler de ces prétendus dieux comme les grecs ou les romains ? Et pourquoi tu n’as pas de pouvoirs ?
-D’après ce que j’ai compris, il s’agit de dieux d’une autre planète mais je n’ai pas tout saisi. Cependant, je sais une chose, c’est qu’il existe une multitude de capacités psychiques mais aussi physiques. On n’est donc pas seuls à être dotés de pouvoirs. Il va être difficile de s’y retrouver et ça pourrait être dangereux. Pour moi, je ne sais pas. Il ne parle pas de ce que l’on doit faire… j’en saurais peut-être plus dans les prochains jours.
-Bah, on fera avec. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix…
-Et si on essayait de dormir ?

Les deux adolescents se séparèrent en direction de leur chambre respective. En entrant dans la sienne, Thomas ressentit comme un étrange soulagement : la journée était enfin terminée et il allait peut être enfin savoir davantage au sujet des étranges évènements qui se sont passés récemment.

Après s’être mis rapidement en pyjama, le jeune garçon parcourut sa chambre du regard comme s’il cherchait quelque chose. La pièce semblait plus grande que la chambre de Julie car elle restait relativement peu meublée. Le large lit situé en face de la porte d’entrée contre le mur opposé, occupait un espace assez important de sa surface. Très finement travaillé dans du bois de chêne sombre et usé, il provenait comme presque tous les meubles de la chambre d’une vieille boutique d’antiquités que son père aimait beaucoup fréquenter. La tapisserie des murs était d’un rouge sombre parsemée de motifs noirs et dorés et semblait obscurcir la pièce malgré la lumière provenant des deux larges fenêtres aux rideaux du même rouge que les murs. Sous l’une de ces fenêtres, un lit plus étroit était réservé à d’éventuels amis mais jusque là, n’avait pas encore servi. Quiconque entrerait dans la pièce aurait du mal à penser qu’il s’agissait de la chambre d’un adolescent si ce n’est en voyant les quelques bandes dessinées et Cédéroms sur les étagères situées dans un coin de celle-ci.

Thomas aperçut enfin ce qu’il cherchait. Sur le bureau près d’une des fenêtres, un paquet soigneusement emballé par ses soins y reposait. Thomas entreprit de le cacher sous le lit de peur que Julie ne le vît avant le jour de leur anniversaire. A peine l’avait-il fait que quelqu’un entra dans la pièce.

« Euh…Thomas ? demanda Julie. Je me suis dit qu’exceptionnellement, je pouvais dormir ici. On ne sait jamais et puis…ben…je n’ai jamais médité, vois-tu ?
- Vas-y ! Rentre ! l'invita son frère. »

Julie prit place sur le lit des invités et se mit en position de méditation. Le sourire béat qui s’affichait sur son visage n’échappa pas à Thomas :

« Qu’y a-t-il ?
- Rien ! Enfin…c’est juste que… c’est drôle en y pensant ! On est peut être frère et sœur, on n’a jamais dormi dans la même chambre !
- C’est vrai ! répondit Thomas en souriant à son tour. »

Le jeune garçon ferma les yeux et se concentra pour méditer. Mais très vite, le rire de Julie rompit le silence.

« Pfffrr…ah ah ah ! Désolée ! Ce n’est pas ma faute ! Si tu voyais ta tête !
- Concentre-toi un peu Julie ! la sermonna son frère. Fais le vide dans ton esprit et essaie de te concentrer sur ta respiration ! Ne pense à rien et tu verras, ça va aller tout seul ! »

Thomas ferma les yeux. Mais quelques minutes plus tard, ce fut à son tour de briser le silence :

« Julie ?
- Mmmh ?
- Dis-moi… On est vraiment des demi-dieux ? Enfin, je veux dire, tu l’as vraiment lu ?
- Oui, je l’ai lu. Du moins, plusieurs éléments m’ont persuadée qu’il s’agissait bien de nous : les tâches de naissances, les dons… Mais c’est étrange : les mots que j’ai lus en langues anciennes résonnaient un peu comme une prophétie. Nous n’étions pas encore nés ! Comment est-ce possible que notre existence était déjà mentionnée dans les livres ? J’aurais bien voulu savoir lequel de nos parents fut un Dieu mais…
- Mais ?
- On aurait dit que des pages manquaient. J’ignore pourquoi mais les pages qui suivirent celles qui prédisaient notre naissance changeaient complètement de sujet ! Tu penses que ce serait quelqu’un qui les aurait arrachées ? »

Julie laissa son frère réfléchir à cette question. Mais très vite, Thomas se concentra de nouveau sur sa méditation. Il devait accéder au monde onirique avant tout et peut-être qu’à ce moment donné, toutes ces questions qu’il se posait depuis plusieurs jours auraient enfin des réponses.
Au bout de plusieurs minutes de méditation, les deux adolescents s’endormirent profondément.


Il faisait sombre. Très sombre. L’air y était étouffant. Chaque bouffée de cet air empoisonné était douloureuse. Thomas se redressa péniblement, les membres engourdis. Il ouvrit les yeux et ce qu’il vit le stupéfia. Le monde onirique, qui dans son souvenir était d’une beauté majestueuse laissait place à un monde de ténèbres, marécageux et chaotique… Tout semblait anéanti. Même le ciel avait laissé place au vide.

Contaminé par cette atmosphère empreinte de peur et d’angoisse, Thomas essaya de retrouver son calme et tenta de localiser la faible source de lumière qui lui permettait de distinguer le néant qui l’entourait. Au loin, derrière une grande barrière de fumée noire qui se confondait avec l’aspect inconsistant du ciel, il put distinguer par endroit quelques points lumineux semblables à des étoiles éclairant le donjon d’une forteresse qu’il reconnu aussitôt. C’était vers cet endroit qu’il devait se rendre !

Thomas tenta de se lever mais tomba aussitôt sur le sol boueux sur lequel il s’était retrouvé en prenant conscience dans ce monde. C’est alors qu’il constata avec horreur que de lourdes chaînes reliées au sol entravaient ses poignets et ses chevilles comme pour l’empêcher de se rendre vers son but. Pris de panique, Thomas s’ébranla en essayant désespérément de briser ces chaînes. Il tira de toutes ses forces pour essayer de s’en délier. En vain. Bientôt, le jeune garçon se laissa submerger par la peur. Tremblant de tous ses membres, il ne savait que faire pour se libérer de cette situation. Enfin, par un dernier espoir, il tenta de nouveau de s’en défaire et les chaînes se rompirent comme si la simple volonté avait suffit à en venir à bout.

Thomas se leva péniblement. Même le sol collant et gluant, paraissait vouloir l’empêcher d’avancer. Un cri retentit. Le corps du jeune garçon fut parcouru de frisson lorsqu’il reconnu la voix : celle de Julie…

Julie se réveilla, le sol était gelé. Elle frissonnait déjà de tout son corps dans ce lieu étrange. C’est à cela que ressemble le monde onirique ? Elle se leva rapidement et parcourue le monde qui l’entourait. Il n’était que désolation. Au loin, les terres, les forêts…tout brulait dans des flammes dansantes bleues et noires. Il faisait si froid, qu’on peinait à croire à l’existence de ce brasier gigantesque entourant Julie de toutes parts. L’air y est irrespirable, on se croirait dans une soufrière !

L’air dense était comme dépourvu d’oxygène, mais emplie de cendres et poussières noires, et d’acide sulfurique. A chaque inspiration, Julie ressentait une brulure descendante de la gorge vers les poumons. C’était si douloureux qu’elle en avait les larmes aux yeux…
Désorientée et titubante, elle tenta d’avancer, mais chacun de ses pas étaient lourds comme retenus par des chaînes invisibles. Tout ici était un supplice.

Elle ne le remarqua pas tout de suite, mais les flammes progressaient, rapidement, brûlant lentement tout sur leur passage, comme si elles se délectaient de la destruction de chaque parcelle de terre, chaque pierre et chaque être vivant. Mais elle aussi, elle allait être brulée !
Que faire ? Je ne peux pas attendre là ! Et où est Thomas ?
Effrayée et incapable de marcher, elle devait se calmer. Julie s’accroupit. En équilibre sur la pointe des pieds, elle croisa ses mains devant son buste, ferma les yeux et réfléchît à une solution… Que puis-je faire ? Réfléchis !

Comme pour se remémorer les passages de l’ouvrage, elle récita : « Le monde onirique est un rêve et comme tout rêve, il suffit de se réveiller pour le quitter. Mais il regroupe un grand nombre de rêves, de lieux et toutes sortes de possibilités. C’est pourquoi il n’est pas toujours simple de l’abandonner notamment quand le rêveur est en plein cauchemar. On ne connaît pas précisément leurs origines mais elles semblent multiples. Mais il semblerait qu’il faille se calmer et établir consciencieusement une connexion avec le monde réel comme si vous vouliez rêver de nouveau - aucune preuve ne peut confirmer cette hypothèse. Le rêveur peut cependant se rassurer, les cauchemars sont des phénomènes rares dans le monde onirique. »

Calme-toi ! pensa-t-elle. Mais les flammes sombres se rapprochaient, et la température de faisait que diminuer. Ses poumons se déchiraient de l’intérieur comme si des cristaux de glace se formaient dans chacune des cellules de son corps. Son sang se gelait et il lui devenait de plus en plus difficile de penser ou même de se calmer.
A la manière du feu sur une trainée de poudre, les flammes progressaient, si bien qu’elles arrivaient déjà sur Julie…Elle hurla !
Les brûlures n’étaient pas chaudes comme on aurait pu s’y attendre mais le feu agissait comme des langues de glace…gelant absolument tout en détruisant.

Se relevant dans un dernier effort, sans qu’un seul son ne puisse sortir de sa bouche entrouverte, Julie sombra. Non pas son corps mais son âme, son esprit tout entier chutait vers un lieu inconnu, dans le néant absolu, laissant son corps là où il était…
Quelques minutes plus tard ou quelques heures, elle était incapable de le dire, Julie se réveilla. Il faisait sombre, elle ne reconnaissait pas le lieu. La nuit l’enveloppait de ses serres tranchantes mais l’atmosphère était redevenu normale, l’air était respirable et chaud. Son corps avait froid. Courbatue et ankylosée, elle était toujours incapable de bouger.

Son esprit reprenant peu à peu appuis avec la réalité matérielle du monde, elle réalisa qu’elle était dans la chambre de Thomas…allongée en position fœtale sur le lit. Difficilement et dans de douleurs musculaires atroces, elle s’assit. Thomas était toujours là, allongé dans même position qu’elle quelques secondes auparavant, des gouttes de sueur perlant de son front comme s’il fournissait des efforts surhumains…

L’écho du cri de Julie avait cessé de retentir. Résonnant de tous les côtés, Thomas ne savait d’où il venait. Tout autour de lui n’était que terres dévastées et désolation. Le regard borgne du jeune garçon s’affola, essayant désespérément de voir une présence, un signe de vie, un signe de sa sœur...

Une ombre aux effluves de cadavre en décomposition frôla son mollet. Le sang de Thomas se glaça. Ses membres se mirent à trembler puis, mu par la force de l’effroi, il se mit à courir aussi vite qu’il le put. Ignorant la nature de son poursuivant dont il ne pouvait vraiment ressentir la présence si ce n’est les émanations glaciales et les exhalaisons putrides qu’elle dégageait, il laissait son épouvante l’entraîner le plus loin possible de ces créatures. Loin devant lui, la forteresse semblait disparaître derrière la barrière de flammes noires comme si elle aussi était destinée à sombrer dans ce monde de ténèbres.

Des griffes acérées lacérèrent le mollet de Thomas qui s’effondra dans la boue. Ce qui lui paraissait avoir l’aspect d’une main à la peau rêche et gelée émergea du sol marécageux et agrippa sa cheville. Ne pouvant se relever, Thomas sentit son corps s’enfoncer lentement vers les bas-fonds du marais. Le visage et les paupières couverts de terre, il ne put distinguer précisément les ombres difformes, presque immatérielles, qui l’encerclèrent.

Thomas cessa de se débattre. Ainsi, c’était de cette façon que cela devait se terminer. Englouti par ses propres rêves, allait-il vraiment mourir ?

Le vent à la morsure glaciale siffla dans ses oreilles : « Jamais tu ne quitteras ce monde. Ton âme sombrera dans les profondeurs de ces terres pour l’éternité. » Etait-ce vraiment le vent dont il venait d’entendre les paroles ?

Réveille-toi ! Mince ! Réveille-toi ! Luttant pour la survie, la voix de sa conscience retentissait dans sa tête. Il devait se réveiller ! Oui ! Se réveiller !

« Thomas ! Ouvre les yeux ! Idiot ! »

Thomas souleva ses paupières. Julie le saisissait par les épaules et continuait à le secouer. Le visage ruisselant de sueur, il fixait sa sœur avec un regard affolé puis la reconnaissant, il se détendit. Elle était saine et sauve, c’était tout ce qui comptait.

« J’ai bien cru que tu n’allais jamais te réveiller ! Tu m’as mis une de ces frayeurs !
- Je suis désolé… »

Thomas s’assit sur son lit dos contre le mur. Julie s’installa à côté de lui. Les deux jumeaux attendirent un peu avant de prendre la parole, le temps de se remettre de ce mauvais cauchemar. Enfin, Julie rompit le silence en premier :

« Que s’est-il passé ? Ce monde avait l’air si différent de celui que tu m’avais décrit.
- Je ne sais pas, répondit son frère, la voix trahissant le traumatisme qu’il venait de subir. J’ai pu distinguer une toute petite partie de la forteresse que je t’avais décrite mais elle semblait disparaître derrière ce gigantesque feu noir, tu vois de quel feu je parle ?

- Oui, je l’ai vu, acquiesça Julie. Je trouverai peut être quelque chose dans le livre que nous avons déniché. Mais c’est étrange, tout semblait nous retenir… Comme pour nous empêcher d’aller de l’avant. Thomas, je crois qu’il est trop dangereux de retenter l’expérience ! On trouvera un autre moyen, je te l’assure ! Pour l’instant, on devrait dormir. Il est encore tôt. »

Thomas baissa les yeux. Il avait une nouvelle fois mis sa sœur en danger. Depuis toujours, il avait davantage eu besoin d’elle qu’elle n’avait eu besoin de lui. Il se sentait faible. Très faible. Serait-il capable un jour de lui porter secours si on venait à s’en prendre à elle ?

« Il y avait…une voix…
- Pardon ?
- Non, rien, c’était mon imagination. Laisse tomber ! »

Julie le fixa d’un regard soupçonneux. Thomas devina qu’elle allait sûrement le questionner à ce sujet dans l’avenir.

Les deux adolescents reprirent place dans leur lit respectif et s’endormirent très vite dans un sommeil sans rêve.

Deux jours plus tard, dès le lever d’un soleil innondant la rosée matinale, Julie était assise sur le banc en dessous du saule pleureur. Elle repensait à leur traversée du monde onirique, qui avait été très éprouvante. Ils en avaient été si épuisés qu’ils avaient dormi jusqu’à midi le lendemain… Nous ne pouvons pas retenter l’expérience mais je peux retourner le problème dans n’importe quel sens, je n’ai pas de solution. Je ne sais pas quoi faire !

Au même moment, un corbeau au plumage d’un noir aux reflets bleutés, se posa à quelques mètres d’elle. Il la fixait comme s’il comprenait ou plutôt percevait ses moroses pensées. Voulait-il l’aider à comprendre ? Il était impossible de le savoir...

Lentement, Julie tendit la main vers ce surprenant oiseau. Effrayé au début, il recula puis repris de l’assurance et vint caresser, de son bec sombre et imposant, l’index de la jeune femme. Il ne se montrait pas hostile, bien au contraire. Mais il paraissait si triste, que ses yeux de jais semblaient vouloir verser des larmes.

Un peu plus loin, Thomas se dirigeait dans leur direction. Il jeta un regard étrange à l’oiseau, qui avait de nouveau reculé, et vint s’appuyer sur le dossier du banc, tournant ainsi le dos à sa sœur :
« Elle est toujours là la corneille ? Ça fait deux jours que cet oiseau rôde autour d’ici…
-Cet oiseau est un corbeau, il fait parti de l’espèce Corvus Corax. Il est très intelligent, et s’il rôde par ici c’est qu’il a probablement ses raisons… De plus, il n’est pas méchant. Ne le juge pas trop vite s’il te plait…

Un lourd silence s’installa entre eux. Il paraissait long et signifiait un malaise présent depuis leur aventure dans l’autre monde. Thomas le rompit :
-Désolé, s’excusa Thomas. Je ne voulais pas le juger, c’est juste qu’il est un peu bizarre…Il est là, il semble demander quelque chose, dans une attente silencieuse et interminable.
-Oui mais on ne peut rien faire pour lui. Je…enfin tu sais, c’est aujourd’hui… »
Ils se regardèrent, un sourire étira leur visage…Ils se comprenaient. « Suis-moi dit-elle ».

D’un pas vif et enthousiaste, ils se dirigèrent vers leur demeure. Arrivés au premier étage, Julie l’emmena dans une pièce inutilisée…Là l’attendait un fin et long paquet couvert d’un bleu argenté et reposant sur une petite table. Il ne demandait qu’à être ouvert…